Floozman: épisode initial
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Table des matières |
| 5e partie : Quelques verres avec la police |
« Avec une abondance scandaleuse, il apporte la délivrance. »
Fred Looseman a été l’évaluateur en chef de risques au Crédit Mondial ainsi que le président de la Commission pour la répression du blanchiment des capitaux. À présent, son travail consiste à réparer les guichets automatiques de banque.
Parfois il entend des voix qui l’émeuvent au point de pleurer. Comme son compte en banque déborde de l’argent de la délivrance, c’est à de tels moments qu’il se transforme en super-héros de la finance : Floozman.
« Je vais vous présenter les experts les plus intelligents de la police scientifique » dit Mélanie en rejoignant le petit groupe qui l’attend, propre et consubstantiel d’une pâle lumière gris bleu comme à la télévision. « Le temps presse. Les actifs financiers de la Banca Nella Figa ont explosé ! En quelques jours, le fond a accumulé des positions invraisemblables, et il y a pire... »
Ils prennent place dans le canapé en cuir, à côté d’une jeune femme brune à forte mâchoire et deviennent gris bleu.
« Bonjour. Ah, pire ?» fait Fred en faisant signe au barman.
« Appleseed détourne des fonds. Nous l’avons découvert en enquêtant sur le financement des insurgés. L’argent provient de la Figa à travers un circuit d’intégration qui implique la Mafia Japonaise, les îles Caïman et les laboratoires Cosmitics !»
« Cosmitics ? Le numéro UN de la beauté éternelle maintenant ?» demande Fred, vaguement amusé.
« Oui, vous avez compris : la start-up d’Appleseed ! Vous savez qu’ils ont effectué des percées stupéfiantes en plastique génétique. Ils ont un énorme besoin de capitaux pour poursuivre leurs recherches mais ils les obtiennent difficilement depuis que le programme de bio-contrôle spatial du conglomérat industriel a été suspendu. »
« Elle doit certainement avoir besoin d’un maquillage de pointe. Mais franchement, tout ça m’est égal. Je suis fatigué. Je n’ai même pas envie de savoir ce qu’elle peut bien trafiquer avec les alter mondialistes. »
« Tous les flux aboutissent au leader de ces manifestants qui ont envahi les environs de la Banque Centrale depuis le début de la réunion des grandes économies. Ce sont les mêmes qui campent en ce moment dans la région de Saverne, vers Scherwiller et aussi à Frankenhausen, vous savez, pour célébrer les fameuses batailles. »
« Pardonnez-moi... »
Le visage lisse de la jeune policière intelligente aux yeux clairs et à la forte mâchoire s’impose. D’intenses signaux gris bleu traversent les ganglions ophtalmiques des officiers, déclenchant le basculement en mode TV. Plus haut, dans leur cortex visuel, une fonction émergente sélectionne un post traitement en gros plan après avoir évalué concurremment les paramètres sémantiques et le score d’intensité dramatique.
« Inspecteur Maigret, du département histoire. C’est le 15 mai 1525, à Frankenhausen que les armées de Philippe 1er de Hesse on écrasé le mouvement des paysans conduit par Thomas Münzer. La bataille a fait environ dix-mille morts. » Du regard, elle fait le tour de la table. « Münzer était un pasteur millénariste. Il faisait la guerre pour libérer les serfs et accomplir la fin des temps. Une sorte de révolutionnaire. De nombreuses autres batailles ont eu lieu cette année là, notamment à Scherwiller où le Duc de Lorraine a fait massacrer quatre mille paysans. »
« Mais peu importe » tranche Mélanie. Nous avons besoin de vous pour comprendre ce qui se passe dans la Figa. J’ai carte blanche et j’ai réuni les meilleurs experts. Je veux que vous fassiez partie de l’équipe. »
Séquence Super Flics (saturation couleurs: -3 ; filtres: 3, 12, 5 ; contraste: 4)
Steven Bourrel, trente-trois ans, spécialiste des analyses numismatiques. Personnalité solide malgré une fixation au stade anal. Réservé et méticuleux. Dans la saison huit, on apprend qu’il vit avec un couple de hamster et qu’il mange régulièrement leur progéniture.
Gina Sprinkster, vingt-quatre ans, ancienne trader, elle a une grande connaissance des marchés financiers. Border line, déjà emprisonnée pour manipulation de marché, elle manifeste un trouble de la personnalité histrionique.
Siegfried Siegfried, soixante ans, docteur en mathématique, ancien agent du KGB, capitaine de la brigade financière. Avec son QI de cinq-cents cinq, il résout toutes les énigmes. Il aime les mots croisés. Il commence à souffrir d’incontinence dans la saison quatre. Il voudrait se déclarer à Gina mais il n’ose pas.
Martine ‘Titine’ Maigret, trente-cinq ans, docteur en histoire diplômée de l’université de Toulouse le Mirail, spécialiste de l’histoire de la banque, elle fréquente des clubs sadomasochistes. Dans la saison vingt-neuf, elle demande l’aide de Siegfried pour se faire hospitaliser après coup de rasoir mal placé
Fin Séquence Super Flics (saturation couleurs : 0 ; filtres : off ; contraste : 0)
« Wow. Ah, un double whisky, s’il vous plaît, un café et un club sandwich » demande Fred en se tournant vers le serveur étourdi par l’aura de compétence vibrante qui baigne la scène. « Vous prenez quelque chose ?» fait Fred à la compagnie d’un signe du menton.
« Non merci, pas pour moi. Comment la Figa peut-elle générer autant d’argent en si peu de temps ?» Poursuit Mélanie en décroisant vivement les jambes pour se pencher au dessus de la table basse. « Nous avons des données récentes : les montants, Fred ! Les montants ! Les ordinateurs du système bancaire peuvent à peine les stocker ! Pour commencer, nous allons revenir sur votre rapport. »
« Je peux vous faire gagner du temps : Appleseed a dû remettre en circulation le trésor de la Figa. »
« Le trésor de La Figa !?»
« Oui, par l’intermédiaire du fond spéculatif. » Il se tait longuement. « Vous vous souvenez que nous avions déjà demandé une enquête sur la Figa lorsque je participais à la commission de recherche sur le développement des techniques de blanchiment. Je ne sais plus pourquoi elle n’a rien donné... et je m’en fous.
« L’OPA hostile du Crédit Mondial m’a donné l’occasion de rouvrir le dossier ‘de l’intérieur’. Lors de l’audit, nous avons découvert un inventaire de ce trésor : de l’or, beaucoup d’or, de l’or venu de loin... des pierres précieuses, des œuvres d’art, des manuscrits inestimables, des reliques, des antiquités et même des curiosités comme des cure-dents du temps d’Hérode...
« On ne sait pas où il se trouve physiquement. Mais le plus surprenant c’est l’activité du fond par l’intermédiaire duquel ces actifs sous-jacents sont vendus ou achetés. Un fonds créé à la Renaissance, à l’activité sporadique.
« A chaque phase d’activité semblent correspondre des profits astronomiques hors bilan. On ne trouve que très peu de traces. Je n’ai pu rencontrer aucun gestionnaire, aucun responsable capable de me décrire le fonctionnement du fonds, aucun modèle de risque, rien... à part peut être quelques équations d’inspiration Pythagoricienne, m’a-t-on dit. »
« ... »
« Des trucs comme ça... »
« Est-ce que ce ne serait pas pour trouver un trésor que les manifestants ont creusé tous ces tunnels, là-bas, dans leur campement, dans les alentours de Scherwiller ?» avance Siegfried avec un sourire en coin. « Nos informateurs on rapporté d’intenses activités de terrassement. Des câbles ont été arrachés. Il y a eu de nouveaux incidents. Bien sûr ! Nous avons l’explication !»
« Et Appleseed ?» interroge Gina. « Qu’est-ce qu’on attend pour la serrer ?»
« Le préfet attend notre avis » dit Mélanie, d’un air las. « Les opérations de la Figa sont suspendues depuis ce matin... cela aurait dû nous donner le temps de réfléchir, mais contre toute attente, les liquidités continuent de s’accumuler dans les actifs que nous surveillons en temps réel, c’est inexplicable ! C’est comme si l’argent surgissait du néant !»
« J’ai évalué tous les scénarios possibles» intervient Siegfried en ôtant ses lunettes à réalité enrichie. « Nous n’avons rien à gagner à la laisser filer d’ici. Au contraire, il faut la neutraliser immédiatement. Et ce ne sera pas facile, elle va se défendre. Je pense aussi que nous devons sécuriser le camp de Scherwiller sans attendre».
« Sécuriser ?» interroge Steven sur un ton mi-inquiet mi-narquois.
« Les dégâts pourraient être irréparables... » ajoute Siegfried. Comment n’avons-nous pas eu connaissance de ce trésor ?» fait-il en se tournant vers Mélanie.
Au même instant, le serveur pose brutalement sur la table le club sandwich, le café et le double whisky. Martine sursaute.
« Mesdames, Messieurs, le service est terminé. Nous ne prenons plus de commandes ! C’est la grève. La grève générale !».
Du côté du bar, une salve d’applaudissement salue son geste. Tous les visages se tournent vers l’attroupement qui s’est formé à l’entrée. Au-delà, dans le hall, règne une grande agitation. On entend des chants et des éclats de voix. Des talkies-walkies bourdonnent. Un hélicoptère passe tout près.
« Bon. Je crois que nous allons avoir des problèmes. Siegfried, donnez notre accord pour l’arrestation » dit Mélanie. « Elle pourrait profiter de la confusion pour filer définitivement ».
« Bien. Moi, je termine mon sandwich et je vous laisse travailler » glisse Fred.
« Non, nous partons pour Scherwiller. Vous venez avec nous. Gina et Steven, vous restez pour suivre l’interrogatoire d’Appleseed »
Fred s’assombrit. « Je ne peux pas. Je suis attendu pour dîner avec des clients. Wisdom Rock.... »
« Je vous paierai. Le double : ce n’est pas beaucoup, n’est-ce pas ? Vous voulez combien ? Appelez votre patron !»
« Je ne sais pas ce que je veux. Rien. Je suis fatigué. Et puis vous voyez bien qu’il y a une grève, et des émeutes. Sans parler du couvre feu »
« Vous oubliez que nous sommes la police !» lance Mélanie en se levant.
Mais voici venir Jean-Pierre, d’un pas décidé. Il salue les policiers avec un regard de défiance puis il entraîne Fred à l’écart.
« Vous êtes là ! Bon. Nous maintenons le dîner. J’essaie de faire intervenir un traiteur. Ils connaissent bien le secteur. Ils pourront passer. Et tous les invités sont coincés à l’hôtel, y compris le sous gouverneur — j’ai réussi à le retenir pour la table ronde et pour le cocktail. C’est excellent pour le relationnel... Je compte sur vous... »
Mélanie les rattrape. « J’ai besoin des services de Mr Looseman. D’urgence. Quel est le prix de la journée ?»
« Mais... nous devons prendre le temps d’en parler. Quels sont les objectifs de la mission ? Quel en est le périmètre, la durée... les modalités. Demain, nous pouvons... »
« Non, immédiatement. Siegfried, faites un chèque à Jean-Pierre. Vingt jours à dix-mille dollars la journée, payables d’avance. Faxez le contrat à mon secrétariat pour régularisation».
« Et le dîner... et les frais ?»
« Tous les frais sont payés par le centre ! Partons. » Puis, un peu plus loin en se tournant vers Fred : « Voilà, vous êtes affranchi !»
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Bertrand Cayzac
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